Bach - Saint Matthieu

Aller en bas

Bach - Saint Matthieu Empty Bach - Saint Matthieu

Message par chapati Mar 8 Mai 2018 - 21:00



D’abord, un mot sur ce qui fâche. Pendant des décennies on a joué Bach comme Wagner sans que personne ne bronche. C’est juste un contresens, et les contresens en musique, c’est impardonnable. Ce d’autant que Bach est bonne pâte et tolère à peu près toutes les interprétations (folk, jazz), toutes les adaptations (pour instruments divers par exemple). Mais joué façon Wagner, c’est niet ! Bref la révolution baroque des années 70, c’était pas du luxe...


Vous êtes sceptique ? Écoutez la version de Karajan de "aus liebe", l'un des chants les plus sublimes de la Passion, où ce sagouin se permet d'enrober la délicieuse Gundula Janovitz de sa guimauve insipide...




Puis comparez avec la tout aussi délicieuse Barbara Schlick, cette fois aux mains d'un mélomane...





Après les baroqueux, Bach était donc métamorphosé. Et c'est comme si était d'une coup tombé du ciel la plus inouïe densité de chefs-d’œuvres de l’histoire de la musique. Aussi je veux bien imaginer l'extase des musiciens devant tant de beauté... n’empêche qu’ils en firent beaucoup côté esthétique. Difficile de ne pas trouver un déficit de ferveur dans les Passions, par exemple. Ferveur religieuse je sais pas et peu importe : la religion est peut-être surtout le support démesuré qui a permis aux artistes d’exprimer ce qu’ils avaient de plus essentiel à dire... mais ça montre surtout que ce qu’ils avaient à dire était à hauteur de la musique.

Une ferveur, un sens, un fil conducteur, bref quelque chose de cet ordre. N'empêche, ça valait le coup qu’on s’y intéresse... surtout pour un morceau de trois heures et demi à l'époque, et donc délicat à jouer comme une succession d’éléments dispars reliés par un seul fil esthétique. Mais soyons francs, la Saint-Matthieu joué à l’ancienne, c’était quelquefois beau quand même, voire drôlement beau à certains moments. Sauf qu'entre certains moments, on s’emmerdait souvent ! L’ennui encore, dans une vision dramatique ça peut se défendre, mais alors en première audition : la fois où on la découvre. Mais quid de la 80º écoute ?

Mais peu importe tout ça, plus que de réinventer un Bach au goût du jour, voire hifi compatible, c’est quand même du sens que les baroques ont restitué. La critique fut salutaire. N'empêche que pas sûr qu’elle ait été suffisante pour s’abstraire de contresens perpétrés depuis lurette, au point d’avoir souvent perdu de vue l’âme même des morceaux. En tous cas, à l'époque et après moult écoutes, j’avais finalement opté pour Koopman plutôt qu'Herreweghe ou Harnoncourt. Ce que c’était beau, Koopman 93 ! Même si depuis, force est de constater que j’ai du écouter 4 fois plus souvent la compilation (une heure de tubes) que l’intégrale.

Quarante ans après la "révolution baroque", les réajustements tardent néanmoins. Les interprètes seraient-ils plus joueurs que musiciens ? Il y a un "mais" en tous cas. J’ai dit l’ennui comme conséquence d’une théâtralité inhérente aux versions préhistoriques (que les musicologues justifient en prétendant que Bach aurait inventé l’Opéra). Mais si Harnoncourt, Herreweghe ou Koopman y ont remédié, possible qu’ils ne l’aient fait que partiellement, parce que des bouts de théâtre dans l’œuvre, ils en ont laissé traîner (sans semble-t-il voir le problème). Et les "bouts", ça représente quand même près de la moitié du temps d'écoute : c'est en fait les récitatifs, tenus par deux voix d’hommes, et dont j’ai souvent eu l'impression désagréable qu’ils interrompaient la musique pour nous expliquer des éléments de scénario. J’entends bien une certaine élite m’expliquer que non, qu'on s’ennuie pas du tout, qu’il faut apprendre, que ça fait partie du spectacle, de la liturgie etc, mais eux sont experts et moi je m'en fous : je suis musicien.


Et pendant ce temps, un contre-ténor (René Jacobs) la chantait, la Saint-Matthieu. Et puis il s’est décidé un jour à la diriger. A ce stade de mon laïus, je me dois de modifier le texte dithyrambique que j'ai écrit après ma première écoute. J'y parlais de "miracle musical". Or après réécoute, et j'ai de réels bémols à émettre. Ce qui est miraculeux, c'est affectivement la façon dont les récitatifs s'intègrent dans la succession d'airs sans jamais sembler interrompre l'émotion. Mais dans mon enthousiasme, je crois bien que j'avais zappé une direction un poil démonstrative, des tempi souvent perturbants et des sonorités peut-être plus esthétisantes qu'homogènes... sans commune mesure en tous cas avec la douceur voire la tendresse ininterrompue que soutiennent Herrewegue ou Koopman. Bach est très fâché contre moi et j'implore son pardon. Peut-être est-ce justement une vision opératique qui tient lieu de fil conducteur à Jacobs, soit un récit chronologique mis en musique et non une cathédrale de musique certes élaborée autour d'un thème ? Malgré tout, je laisse sa version quand même : peut-être changerai-je finalement à nouveau d'avis (et puis un ordinateur n'est pas le meilleur support pour jouer au critique musical)...


Herreweghe est sensible et très raffiné. Sa Passion est merveilleuse mais manque peut-être donc d’un poil de ferveur qui la tiendrait mieux d’un bout à l’autre (je suis conscient d'être sévère). Koopman est très proche, avec certains chants miraculeux qui me semblent inégalés. Harnoncourt a peut-être plus d'unité : sa "patte" crée une univers qui nous tient peut-être plus. C'est un peu le pendant masculin d’Herreweghe, si l’on peut dire ça comme ça. Mais est-il le plus représentatif de Bach ? J'aime moins sa version en tous cas. Mais difficile de les départager, ils sont tous magnifiques. Le mieux doit être d'avoir toutes les versions.



Quelques liens...



Koopman 1993 (audio) : en l'écoutant sur Youtube, les morceaux s'enchaînent jusqu'au bout.




Herreweghe (vidéo - en concert)




Harnoncourt (audio)




Jacobs (audio)








Enfin j'ajoute une version dans les critères actuels des tempi (dirigée par Raphaël Pichon), plutôt joliment jouée mais non exempte de défauts... dont celui de se permettre d'interrompre Bach au milieu pour ajouter un bout de messe : sacrilège ! Bref, je la mets surtout pour poursuivre ma réflexion, parce qu'elle donne les textes en sous-titres, et qu'on peut penser que c'est justement ce côté "récit" qui fait lien pour certains (jusqu'à justifier un Bach "opératique"). Ça permet d'avoir au moins une fois le récit en tête.






Mais peut-être ce billet a-t-il désormais quelque chose de désuet. Il semble qu'en fait, ils ont tous adopté les nouveaux tempi (et la jouent un peu pareil en fait). Je viens en effet de tomber sur une version de Van Veldhoven qui me semble avoir les qualités de mes préférées. Que faire ? Je la mets, on verra bien...




chapati
Admin

Messages : 1594
Date d'inscription : 28/02/2017

https://philo-deleuze.forumactif.com

Revenir en haut Aller en bas

Revenir en haut

- Sujets similaires

 
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum